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Guinée : comment un vidéoman détourne une déclaration pour attiser la haine ethnique

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Capture d'ecran du direct de Macenta Benito. Credit Montage GuineeCheck
Déclaration
Dans une vidéo de 18 minutes 25 secondes, le vidéoman Macenta Benito affirme que des ONG et des partis politiques guinéens sont signataires d'une Tribune collective demandant à la France de se prononcer sur la situation socio-politique en Guinée. Benito
Verdict : Incorrect
Le vidéoman s’est servi de la déclaration du Collectif comme argument afin de répandre des allégations et attiser la haine communautaire. Nulle part ne figure dans cette tribune plusieurs mots prêtés aux auteurs de ladite déclaration, notamment l’existence de partis politiques et ONG guinéens parmi les signataires.

Dans cette vidéo de 18 minutes 25 secondes ( archivée ici), le vidéoman Macenta Benito affirme que des ONG et des partis politiques guinéens sont signataires de cette Tribune collective  demandant à la France de se prononcer sur la situation socio-politique en Guinée. Sauf que ce n’est pas exact !

Le 9 septembre, un collectif d’ONG de défense des droits humains et d’organisations syndicales françaises ont dans une déclaration commune demandé à la France de se prononcer publiquement sur la situation sociopolitique guinéenne. La publication de cette tribune coïncidait au 60e jour de la disparition – pour les uns – et un kidnapping pour les autres – de Foniké Mengué et de Billo Bah, tous hauts responsables du Front National pour la Défense de la Constitution (FNDC) – un mouvement citoyen qui rassemble des organisations de la société civile, des partis politiques, des syndicats et des citoyens engagés pour la démocratie en Guinée. 

Depuis le 5 septembre 2021, le pays est dirigé par une junte militaire à sa tête, Mamadi Doumbouyah – lieutenant-colonel lors du coup d’Etat qui  a été élevé  Général de Corps d’Armée le 24 janvier 2024.  Au moment du putsch contre Alpha Condé (2010-2021), l’ancien légionnaire français commandait le Groupement des Forces Spéciales (GFS) – une unité d’élite de l’armée guinéenne. 

Alors que l’interdiction des manifestations sur les voies publiques demeurent en vigueur depuis mai 2022 et l’avenir des médias privés – quatre radios et deux chaînes de télévision – dont les agréments d’exploitation ont été retirés en mai dernier est incertain, l’absence de dialogue entre les acteurs socio-politiques et le CNRD cristallisent les positions à quelques mois de la fin prévue de la transition, le 31 décembre 2024. 

Actuellement, nous assistons à une floraison de mouvements (1 et 2) demandant au Président de la Transition d’être candidat à la prochaine élection présidentielle. Ce que lui interdit la Charte de la transition qu’il s’était engagée à respecter.  Depuis un certain temps, des agents des désordres de l’information surfent sur le vide informationnel créé la fermeture de ces médias et la polarisation du débat public pour répandre des infox et attiser la haine ethnique.   

Dans la soirée du 9 septembre, le vidéoman guinéen qui se nomme Macenta Benito – nous ignorons son vrai nom – a prononcé dans un direct diffusé sur sa page Facebook, plusieurs contre-vérités au sujet de cette déclaration appelant la France à se prononcer sur la situation socio-politique en Guinée. Le direct est toujours disponible sur sa page (lien archivé ici.)

Pour capter l’attention et rendre crédible son narratif, Benito fait croire à ses abonnés qu’il a reçu la déclaration d’une source qui lui demande d’en prendre soins et de la partager. Tandis que la tribune a été publiée par plusieurs médias (1, 2, 3). Il précise plus loin être un “politique” et non un “artiste” sans avancer le nom de sa formation politique.

La rédaction de GuineeCheck.org a décelé le vrai du faux dans cette vidéo de 18 minutes 25 secondes. Au moment de la rédaction de cet article – entre le 9 et le 17 septembre – la vidéo cumule plus de 80 000 vues et a été commentée plus de  600 fois. 

  • Aucune ONG ou partis politiques guinéens n’est membre du collectif signataire

Dans sa vidéo , Macenta Benito affirme “que des ONG et des partis politiques guinéens sont membres du Collectif” qui a demandé à la France de se prononcer sur la situation guinéenne. En réalité, aucune ONG guinéenne ne figure sur la liste des organisations signataires de ladite déclaration. Pire, aucune formation politique guinéenne ou française n’a signé cette tribune publiée par Libération dans la matinée du lundi 9 septembre. 

Les noms des oragnisations signataires. Aucun parti politique ni ONG  de la Guinée n’y figure

  • Aucun appel à une possible guerre civile en Guinée

À partir de 2mn 7s, le vidéoman fait cas d’une possible guerre civile en Guinée. Pour étayer ses propos, il donne l’exemple sur les guerres civiles survenues au Libéria (entre 1989 et 2003) – avec plus de 200 000 morts et en Sierra Leone (entre 1991 et 2002) avec plus 100 000 morts.  Tous deux, pays voisins de la Guinée.

En parcourant ladite déclaration, nulle part une possible guerre civile en Guinée n’est évoquée. Les signataires parlent d’un “ climat politique [devenu] de plus en plus alarmant.” Plus loin,  ils estiment que “trois [après le coup d’Etat], la désillusion est amère. Le Président de la transition, Mamadi Doumbouya, dirige aujourd’hui un État où règnent la répression, l’autoritarisme et la violence. Toute forme de critique y est sévèrement réprimée.”

  • De la haine contre la communauté forestière ? Faux ! 

Il aura fallu un commentaire dans son direct pour que Macenta Benito attise la haine ethnique. En répondant à un commentaire, il s’attaque aux Koniankés (une des ethnies de la Guinée) en particulier et les Forestiers (habitants de la Guinée Forestière, au sud-est du pays) en général. “Ne répondez pas. Ce sont des Koniankés (…) des gens très complexés [qui] ne sont pas éveillés”, fulmine-t-il, tout en  généralisant “les petits forestiers perdus là”. 

En lisant la déclaration du Collectif, Benito a laissé entendre que la France est accusée d’avoir armé “les militaires pour réprimer les citoyens”. Mais dans le document, alors qu’à la date du 22 avril 2024, Amnesty International dénombre au moins 47 personnes tuées lors de manifestations sous le CNRD, le Collectif estime plutôt que “la France doit communiquer de manière transparente sur tous les aspects de sa coopération actuelle avec la Guinée et suspendre tout appui susceptible de participer à la répression des populations, notamment sa coopération sécuritaire”. 

Nous avons contacté Benito via l’application Messenger pour savoir son nom à l’état civil, le nom de sa formation politique et s’il maintient ses déclarations dans la vidéo. A la place des réponses, il nous a menacé. 

Verdict 

Le vidéoman s’est servi de la déclaration du Collectif comme argument afin de répandre des allégations et attiser la haine communautaire. Nulle part ne figure dans cette tribune plusieurs mots prêtés aux auteurs de ladite déclaration, notamment l’existence de partis politiques et ONG guinéens parmi les signataires.


Cet article a été rédigé par Mamadou Barry. Il a été édité par Thierno Ciré Diallo et approuvé par Sally Bilaly Sow.

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