Partager la publication "Guinée : les partis politiques ont-ils la capacité de couvrir tous les bureaux de vote du pays ?"
Début juin, l’ancien ministre de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation, Pr. Alpha Amadou Bano Barry, a affirmé au cours de l’émission à grande écoute Mirador diffusée sur FIM FM qu’ « aucun parti [politique] n’a la capacité financière de déployer du personnel sur l’ensemble des bureaux de vote du pays”. Sa sortie médiatique était consécutive à la proposition qu’il a faite dans le cadre du débat d’orientation constitutionnelle organisé par le Conseil National de Transition (CNT).
Cette affirmation de l’ancien Conseiller de l’ex-président Alpha Condé sur les questions éducatives est partiellement vraie. Au terme de notre vérification, nous pouvons affirmer donc que cette situation ne concerne pas tous les partis politiques guinéens.
Sur les 187 partis politiques agréés en République de Guinée, seulement le principal parti d’opposition l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) dirigé par l’ancien Premier ministre, Cellou Dalein Diallo, et l’ex-parti au pouvoir le RPG Arc-en-ciel d’Alpha Condé ont pu déployer du personnel sur l’ensemble des bureaux de vote du pays en 2010, 2015 et 2020.
Une course effrénée à la création des partis politiques
Le multipartisme est régi en Guinée par l’adoption de la loi L91/1003 du 23 décembre 1991 portant modification du nombre de partis politiques susceptibles d’être constitués. Alors que le ministère de l’Administration du Territoire et de la Décentralisation (MATD) par l’entremise de sa Direction Nationale des Affaires Politiques et de l’Administration Électorale dit, dans un communiqué, avoir entamé du 22 mai au 25 juin 2023 « une mission d’identification et de collecte des données aux sièges des partis politiques » et qu’un débat sur la limitation des partis politiques est prôné par certains acteurs socio-politiques, la rédaction de Guineecheck.org s’est intéressée à l’affirmation du Pr Alpha Amadou Bano Barry.
Joint au téléphone, l’ancien ministre de l’Education Nationale et de l’Alphabétisation a indiqué qu’« avec le multipartisme, la Guinée compte aujourd’hui 185 partis politiques reconnus ». Cependant, d’après un décompte du MATD, ce sont plutôt 187 partis politiques au lieu de 185 (comme indiqué par le professeur).
Au bout de la ligne, le sociologue a maintenu ses propos déclarés sur les antennes de FIM FM. Selon lui, si nous prenons “15 000 bureaux multipliés par 100 000 FG (le minimum perçu par un délégué d’un bureau de vote). Il faut considérer que même si le vote a lieu un seul jour, les membres vont probablement partir trois jours à l’avance et puis y rester deux jours après. Il faut alors multiplier les 100 000 FG par cinq. Ensuite, il faut calculer le transport de ces délégués dans les différentes localités. Autant dire, il faut trouver des véhicules pour les déployer. Ensuite, il faut tenir compte de leur nourriture. Étant donné que les 100 000 FG n’incluent pas la nourriture d’au moins cinq jours. ”
Pour qu’un parti politique se déploie “dans toutes les zones” de la Guinée “en période électorale”, il estime qu’il lui faut un “minimum de quatre milliards de francs guinéens (4.000.000.000 GNF).”
Précisions : lors de la présidentielle du 18 octobre 2020, il y avait sur l’ensemble du pays 14 938 bureaux de vote et 23 Commissions Électorales d’Ambassades Indépendantes (CEAMI).
Il soutient, sans donner plus de détails, que même les grands partis de la Guinée [RPG Arc-en-ciel, UFDG, UFR entre autres] seront “aussi incapables de trouver cette somme” en se demandant “où ils travaillent pour gagner l’argent”. “Aucun parti n’a cette capacité”, tranche-t-il. L’autre élément que brandit Pr. Bano Barry, c’est le manque de ressources humaines “capables de lire, écrire, compter, savoir faire la division, connaître le code et le processus électoral” dans les différentes localités du pays.
Le RPG Arc-en-ciel et l’UFDG, deux partis politiques qui contestent l’affirmation du Pr Barry
Au RPG Arc-en-ciel et à l’UFDG, deux formations politiques qui ont participé à la présidentielle contestée du 18 octobre 2020, l’affirmation du Pr Alpha Amadou Bano Barry est vite démentie. Nous avons décidé de respecter le souhait de nos multiples interlocuteurs au sein de ces formations de ne pas être cités dans cet article et de ne pas livrer leurs stratégies de déploiement dans tous les bureaux de vote.
Par exemple, l’Union des Forces Démocratiques de Guinée (UFDG) dit être présente sur l’ensemble du pays – 3 000 comités de base, 386 sections et 54 fédérations. Le parti de Cellou Dalein Diallo a déployé lors de la dernière présidentielle plus de deux délégués par bureau. C’est ce déploiement qui avait permis au parti de proclamer ses propres résultats.
Chez l’ancien parti au pouvoir, le RPG Arc-en-ciel, nos différents interlocuteurs nous ont renvoyés sur l’organisation du parti politique. Même n’étant plus au pouvoir et que des bisbilles avaient été signalées les mois suivants le coup d’Etat du 5 septembre sur la succession d’Alpha Condé à la tête de la formation politique, le parti dit avoir gardé le même dispositif sur l’ensemble du pays. Nous ignorons l’ampleur de ces “dispositions”.
Le RPG et l’UFDG, les seuls partis politiques à avoir une implantation véritablement nationale
Comme d’ailleurs le souligne le livre “Dictionnaire des partis politiques en République de Guinée” du politologue Dr. Saïkou Oumar Baldé, paru au mois de mars dernier “le RPG et l’UFDG [sont] les seuls partis politiques à avoir une implantation nationale”.
Cependant, d’autres problèmes ne facilitent pas le déploiement de façon sécurisée d’accesseurs dans certains bureaux de vote. Par exemple, lors de la présidentielle d’octobre 2020, des militants habillés aux couleurs du parti au pouvoir d’alors ont empêché le cortège de l’opposant Cellou Dalein Diallo d’accéder dans la ville de Kankan, en Haute-Guinée, située à plus de 500 kilomètres de Conakry.
En 2018 également, des violences post-électorales avaient été constatées dans la sous-préfecture de Kalinko, relevant de Dinguiraye, au centre du pays, et dans la préfecture de Kindia à l’ouest. Les opposants dénoncent aussi souvent le recours aux administrateurs locaux pour « réaliser des fraudes à grande échelle ».
Au moins un parti politique “d’accord” avec l’affirmation du Pr. Alpha Amadou Bano Barry
Le Président du Rassemblement pour la République (RPR), Diabaty Doré, atteste que ”le Prof. Bano est un homme scientifique. Ce qu’il dit est vrai. Parce que couvrir tout le territoire national, ça demande beaucoup de moyens, beaucoup de déplacements. Supposons, la couverture des huit régions, des 33 préfectures plus les 305 CRD [Communes rurales de développement]. Le coût est très élevé », se justifie-t-il, avant de préciser : « au RPR, par exemple par manque de moyens, nous ne sommes pas implantés partout. Nos sources de revenus proviennent des cotisations des membres du parti et de nos partenaires de l’étranger. Pour le moment, reconnaît ce membre de l’ANAD, avec environ huit années d’existence, le RPR n’a pas encore couvert tout le territoire national ».
Verdict
L’affirmation du professeur Alpha Amadou Bano Barry est partiellement vraie. Sur les 187 partis politiques agréés en République de Guinée, seuls l’UFDG et le RPG Arc-en-ciel disposent d’une implantation nationale. D’ailleurs, le communiqué de la Direction Nationale des Affaires Politiques et de l’Administration Électorale indique que sur 80 partis politiques visités récemment, 48 partis politiques ont fourni des adresses erronées et 44 partis politiques sont sans adresses.
A travers le vote par derogation, l’article 73 de la loi L/2017/N°002/AN du 24/02/2017 du Code électoral révisé permet aux partis politiques ne disposant des comités de base dans une localité d’envoyer des membres venant d’autres fédérations comme agents de bureau de vote.
Cet article a été rédigé par Mariame DIALLO dans le cadre du projet d’Éducation au Média à l’Information et au Numérique Plus (EMIN +) avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Il a été édité par Thierno Ciré Diallo et approuvé par le directeur de publication, Sally Bilaly Sow.
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