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Restriction de l’accès aux médias sociaux en Guinée : le câble sous-marin ACE n’était pas en panne !

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Ousmane-Gaoual-DIALLO, porte-parole du gouvernement de transition, photo : DR
Déclaration
Au cours d’une conférence de presse le 19 mai dernier, le porte-parole du gouvernement et également ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique, Ousmane Gaoual Diallo, réagissant à la restriction d’accès aux sites d’informations et aux réseaux sociaux dénoncée par plusieurs internautes, a invoqué une panne du câble sous-marin ACE. Ousmane Gaoual Diallo
Verdict : Incorrect
Contrairement à l’affirmation du porte-parole du gouvernement de transition, Ousmane Gaoual Diallo, la panne du câble sous-marin entre le 17 et le 22 mai n’a pas été prouvée. Mais les autorités guinéennes pourraient avoir plutôt décidé intentionnellement de restreindre l’accès aux médias sociaux alors que des manifestations étaient annoncées dans le pays.
Du 17 au 22 mai, les internautes guinéens ont constaté une restriction de l’accès aux réseaux sociaux les plus populaires dans le pays, à savoir : Facebook, Instagram, TikTok, WhatsApp, Messenger ou encore YouTube. Les plaintes venaient aussi de plusieurs administrateurs des sites d’informations guinéens qui avaient remarqué des sérieuses difficultés à se connecter à leurs médias en ligne. 

Ces restrictions des réseaux sociaux et des quotidiens électroniques sont survenues alors que les Forces Vives de Guinée (FVG) – une coalition d’acteurs de la société civile et politique – avaient appelé à des manifestations dans le Grand Conakry et à l’intérieur du pays, contre la junte au pouvoir en Guinée depuis septembre 2021.

Des restrictions d’accès aux réseaux sociaux et médias en ligne confirmées par des sources indépendantes

Dans l’après-midi du 17 mai, des internautes ont interpellé sur Twitter l’ONG NetBlocks qui surveille la gouvernance de l’Internet et la cybersécurité dans le monde. NetBlocks a confirmé, à travers ce tweet, la restriction en Guinée de Facebook, WhatsApp, Instagram, TikTok et d’autres plateformes des médias sociaux.   Les mêmes restrictions confirmées aussi par OONI

Dans une de ses déclarations, l’Association des Blogueurs de Guinée (ABLOGUI) a indiqué que « sur 32 sites guinéens d’informations [testés] dans la nuit du 23 mai (…) près de la moitié d’entre eux n’était toujours pas accessible chez les utilisateurs d’internet mobile. Un autre test effectué le 24 mai uniquement sur les 15 sites bloqués a montré que les perturbations persistaient toujours (5 testeurs sur 10 n’avaient pas accès à ces sites). C’est finalement dans la soirée du 25 mai que nous avons constaté un retour à la normale », a-t-elle précisé.

Le rôle d’un  « un équipement ultra moderne et intrusif » acquis auprès d’une société israélienne…

Selon le quotidien en ligne Guinéenews, c’est  « un équipement ultra moderne et intrusif, SG 9000,  acheté à  la Société israélienne Allot, et placé à la GuiLab (la Guinéenne des Larges Bandes) » qui a facilité la restriction, rappelant toujours que « le 24 mars 2023, tous les Fournisseurs d’accès internet (Orange, MTN, Cellcom, Afribone, ETI, Mouna, Skyvision et VDC) avaient été conviés à une réunion technique à l’ARPT pour faire connaissance avec le nouveau joujou technologique pour brider les médias et les réseaux sociaux ».

Dans un courrier adressé au ministre des Postes,  des Télécommunications et de l’Economie numérique, le 23 mai, la Fédération Syndicale Autonome des Télécommunications (FESATEL) assure « qu’après vérification auprès de nos travailleurs syndiqués aucune anomalie ne nous a été signalée au niveau des Opérateurs Télécoms en interne. Il est aussi à préciser qu’aucun opérateur n’a fait une communication d’un éventuel souci technique dans son réseau ».

Levée de bouclier de la presse

Dans une déclaration conjointe, les organisations professionnelles, le syndicat de la presse et les associations de presse ont condamné des mesures restrictives contre la liberté de la presse. Elles ont particulièrement dénoncé « le démantèlement par effraction des émetteurs du Groupe de presse AfricVision, le brouillage des ondes des radios FIM FM et Djoma FM » ainsi que « la restriction d’accès aux sites d’informations guinéens et des réseaux sociaux ». Selon les organisations professionnelles de la presse, ces mesures ont été finalement levées « après la restitution des émetteurs du Groupe de presse AfricVision, l’arrêt des brouillages des ondes des radios FIM FM et Djoma FM et la levée de la restriction des accès aux sites d’informations guinéens ». 

Des graves atteintes à la liberté de la presse 

L’Organisation Guinéenne de Défense des Droits de l’Homme et du Citoyen (OGDH) a, dans une déclaration, condamné « le brouillage des fréquences de certains médias, les menaces et intimidations contre des médias et la restriction de l’accès à internet ».  Quant à Reporters Sans Frontières (RSF), elle a fustigé « une attaque de manière inédite de la liberté de la presse » par la junte guinéenne.

Des restrictions volontaires ou une panne survenue au niveau du câble sous-marin qui assure la fourniture de l’internet à la Guinée ?

La République de Guinée n’est branchée que sur un seul câble sous-marin appelé Africa Coast to Europe (ACE) qui, comme son nom l’indique, relie l’Europe à plusieurs pays côtiers africains.  Et plus de 95% des données numériques transitent par les câbles sous-marins.

Au cours d’une conférence de presse le 19 mai dernier, le porte-parole du gouvernement et également ministre des Postes, des Télécommunications et de l’Economie numérique, Ousmane Gaoual Diallo, réagissant à la restriction d’accès aux sites d’informations et aux réseaux sociaux dénoncée par plusieurs internautes, a invoqué une panne du câble sous-marin ACE. L’ancien député uninominal de la préfecture de Gaoual a repris les mêmes propos ce lundi 29 mai dans l’émission “Les Grandes Gueules” d’Espace FM Guinée sans pouvoir les prouver.

GuineeCheck a interrogé plusieurs sources situées dans des pays traversés par le câble ACE qui ont précisé n’avoir constaté aucune restriction d’accès aux réseaux sociaux mais aussi aux sites d’informations de leurs pays respectifs durant la période du 17 au 22 mai 2023. Autrement dit, la “panne” n’a touché que les utilisateurs d’internet se trouvant en Guinée. 

Habituellement en Guinée, ce sont les différents opérateurs de téléphonie mobile ou fournisseurs d’accès à internet (FAI) qui informent les utilisateurs des pannes qui surviennent sur leurs réseaux ou de la dégradation éventuelle de la qualité de leur service. Souvent, ils donnent un délai approximatif autour duquel le souci technique serait réglé. Cette fois-ci, comme l’indique même la FESATEL, « aucun opérateur n’a fait une communication d’un éventuel souci technique dans son réseau ».

Nous avons analysé le trafic du câble sous-marins ACE avec Félix Blanc, co-fondateur de l’ONG Danaides.org. Selon lui, aucune coupure n’a pu être identifiée, après croisement de plusieurs sources. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le site Internet Outages Detection and Analysis (IODA) qui offre des outils open source pour mesurer le trafic entrant et sortant en temps réel.

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Ces outils sont utiles pour mesurer la réalité des coupures de l’internet à travers le monde, et permettent d’identifier leurs sources, intentionnelles ou accidentelles. En l’occurrence, le gouvernement guinéen semble avoir cherché à masquer ses propres actions. Car tous les indices pointent vers des restrictions intentionnelles, intervenues dans un contexte de tension sociopolitique entre la junte au pouvoir et les Forces Vives de Guinée.

Nous pouvons aussi voir sur ces sites l’effet de la restriction des réseaux sociaux sur les courbes de trafic. L’infléchissement de la courbe, bien visible à partir du 22 mai, est l’effet des outils utilisés intentionnellement par le gouvernement, et non d’une quelconque coupure accidentelle. 

Grâce à la collaboration que nous menons avec la plateforme IMPACT-plateforme.org, qui entend lutter contre la désinformation et la haine en ligne en Afrique de l’Ouest nous pouvons affirmer qu’il s’agit bien d’une opération de désinformation, qui suit un schéma que nous avons analysé également avec Stéphanie Lamy, spécialiste des opérations sémantiques  : « L’argument du gouvernement pour justifier la restriction de l’accès à certaines plateformes, c’est un argument qui peut mobiliser une inquiétude. Par ailleurs, le sous-marin renvoie à un domaine mystérieux et caché. On oublie trop souvent que beaucoup de données transitent par les câbles sous-marins. Cet argument me semble assez léger au point de vue de la sélectivité des plateformes médias sociaux qui ont été restreintes. Ce qui est peu probable dans le cas d’une panne au niveau d’un câble sous-marin. Donc, au lieu de renvoyer à l’aspect technique, il se pose la question politique ».

Nous avons voulu échanger avec le ministère des Postes, des Télécommunications et de l’Economie Numérique, de l’Autorité de Régulation des Postes et des Télécommunications (ARPT) et de La Guinéenne de large bande (GuiLab) en leur partageant les résultats de notre vérification. Jusqu’au moment de la publication de cet article, aucune des entités n’a donné suite à notre requête. Quand elles réagiront, nous intégreront leur réaction

Verdict 

Contrairement à l’affirmation du porte-parole du gouvernement de transition, Ousmane Gaoual Diallo, la panne du câble sous-marin entre le 17 et le 22 mai n’a pas été prouvée. Mais les autorités guinéennes pourraient avoir plutôt décidé intentionnellement de restreindre l’accès aux médias sociaux alors que des manifestations étaient annoncées dans le pays.


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