Attention à ces propos du ministre guinéen de la Pêche et de l’Économie maritime

« Depuis l’avènement du CNRD [au pouvoir, en septembre 2021], la Guinée forestière n’a connu aucun affrontement intercommunautaire, alors qu’auparavant, nous enterrions des centaines de victimes tous les deux mois », ces propos ( lien archivé ici) du ministre de la Pêche et de l’Économie maritime, Fassou Théa, tenus le 30 août 2025, sont partiellement vrais.

La région de la Guinée forestière n’a pas enregistré des conflits intercommunautaires depuis le coup d’État qui a renversé l’ancien président Alpha Condé, le 05 septembre 2021. Mais jamais dans l’histoire, cette région du sud de la Guinée n’a connu une fréquence d’affrontements intercommunautaires à l’ordre de tous les deux mois.

Nos premières recherches faites en ligne…

Dans un premier temps, nous avons effectué une recherche avancée à travers le moteur de recherche Google avec les mots-clés « confits communautaires Guinée forestière ». Les résultats nous ont permis d’obtenir plusieurs occurrences de cas de conflits à caractère communautaire enregistrés dans la région au cours des dix dernières années :

• En mai 2011, un conflit entre Kpèles et Malinkésa fait au moins 25 morts, plusieurs blessés graves et une vingtaine de bâtiments incendiés à Galakpaye dans la préfecture de Yomou.
• En juillet 2013, des affrontements ont opposé des Guerzé à des Konianké dans plusieurs localités de la Guinée forestière. Le bilan officiel établi à l’époque avait fait état de 95 morts, de centaines de blessés et de 131 arrestations. Mais une enquête menée par la Ligue guinéenne des droits de l’Homme (LIGUIDHO) a établi le bilan à 217 morts, 473 blessés et 263 personnes disparues.
• En mars 2020, des violents affrontement à relent ethnique se sont produits à N’Zérékoré entre les communautés Guérzé, Konianké et Malinké après le double scrutin (référendaire et législatif) du 22 mars 2020. Selon un rapport de Human Rights Watch, ce conflit a fait au moins 32 morts dont 3 enfants, 90 blessés et des dégâts matériels (destructions dans des dizaines de maisons, magasins et églises) très importants.

L’ONG Avocat Sans Frontière Guinée dément l’affirmation du ministre Théa

Depuis plusieurs années, l’ONG Avocat Sans Frontière Guinée est l’une des organisations de la société civile guinéenne qui documentent les violations des droits de l’homme en Guinée.

Contacté par GuineeCheck.org, son président dément l’affirmation du ministre de la Pêche et de l’Économie maritime. « Le premier [conflit à caractère communautaire], si j’ai bon souvenir, c’était en 1991, lors des premières élections communales. Je ne connais pas les statistiques [concernant le bilan] (…) Mais en 2020, c’était un peu lié à la politique, c’était lors des élections législatives et du référendum », a ajouté Me Aimé Christophe Labilé Koné, insistant sur le fait qu’il n’y a jamais eu de conflits intercommunautaires pendant une même année. « Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de conflits inter-ethniques en Guinée forestière. Mais jamais, en une année, on n’a enregistré deux fois de conflits », a-t-il souligné.

Un ministre qui essaie de séduire la population par l’exagération ou la manipulation des faits ?

Depuis le 05 septembre 2021, date du renversement du régime d’Alpha Condé, la Guinée est dirigée par une junte militaire avec à sa tête le Général Mamadi Doumbouya. En meeting le 30 aout 2025 à Sonfonia, un quartier de la capitale guinéenne, le ministre Fassou Théa a essayé de séduire son auditoire, venu célébrer sa nomination. C’est à cette occasion qu’il a affirmé que « depuis l’avènement du CNRD, la Guinée forestière n’a connu aucun affrontement intercommunautaire, alors qu’auparavant, nous enterrions des centaines de victimes tous les deux mois ».

Une manière pour lui de dire à ses proches originaires de la région, comme lui, que le bilan du Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD) est positif. Mais seulement voilà : le ministre a exagéré sur la fréquence des affrontements intercommunautaires en Guinée forestière.

Le résultat de nos recherches ci-dessus prouve que la région forestière n’a jamais connu plusieurs conflits inter-ethniques en une année. L’autre pan de son discours qui évoque le nombre de morts par conflit n’est pas exact. Rarement ces conflits ont enregistré plus de cent morts, d’après les bilans officiels.

Toutefois, son affirmation sur le fait que le calme règne dans la région depuis l’arrivée au pouvoir du Général Mamadi Doumbouya est une vérité. Depuis fin 2020 à maintenant, aucun conflit inter-ethnique n’a été enregistré dans la zone par les organisations de la société civile ou rapporté par les médias.

Une région entourée par des pays qui ont connu des guerres civiles

La Guinée forestière est l’une des quatre régions naturelles de la Guinée. Depuis les années 1990, la paix y est très fragile : attaque rebelle en septembre 2000, arrivée massive de réfugiés fuyant les guerres en Sierra Léone, au Libéria et en Côte d’Ivoire, tensions intercommunautaires, etc.

La Guinée forestière qui se trouve au sud de la Guinée est limitée à l’ouest par la Sierra Leone, au sud par le Liberia et à l’est par la Côte d’Ivoire. Trois pays qui ont connu des guerres civiles entre 1989 et 2010. La Sierra Leone de 1991 à 2002, le Liberia (la première guerre entre 1989 et 1990 et la deuxième guerre civile de 1999 à 2003), la crise politico-militaire en Côte d’Ivoire entre 2002 et 2010.

Verdict

Les propos du ministre de la Pêche et de l’Économie maritime, Fassou Théa, sur la fréquence des affrontements enregistrés avant le coup d’État qui a porté le Général Mamadi Doumbouya au pouvoir, en septembre 2021, sont partiellement vrais.

Certes la région de la Guinée forestière n’a pas enregistré des conflits intercommunautaires depuis 2020, mais jamais, l’histoire de cette région du sud de la Guinée n’a connu une fréquence d’affrontements intercommunautaires à l’ordre de tous les deux mois faisant « des centaines de victimes ».

Cet article a été rédigé par Mamadou Barry dans le cadre du Projet ‘’Endiguer les désordres de l’information au Sahel’’, avec le soutien de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Il a été édité par Thierno Ciré Diallo et approuvé par Sally Bilaly Sow.

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